Enfin une piste thérapeutique sérieuse pour traiter la maladie d’Alzheimer, par Patrick Lambert
C’est de Californie que vient l’espoir : pouvoir donner une réponse à tous ceux qui font face à la maladie d’Alzheimer, réputée incurable. L’équipe de neuroscientifiques et de psychiatres de l’Université de San Diego, autour de Daniel Whittaker, a publié un article (Cell Metabolism, octobre 2023) sur la modulation circadienne par l’alimentation à durée limitée, afin de lutter contre les maladies inflammatoires du cerveau. Vous avez bien lu : il s’agit d’une proposition de solution qui se passe de médicaments, trop souvent décevants pour traiter les maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer, au profit de la chronobiologie, méthode naturelle.
Le coupable : le trouble du rythme circadien
L’approche thérapeutique semble simple : pas d’aliments interdits, pas de réduction calorique, seulement une limitation dans le temps des prises alimentaires. Pour comprendre la logique de cette méthode, revenons sur ce que nous savions déjà. Le trouble du rythme circadien (cycle de 24 heures), entraîne des troubles métaboliques. Nos horloges biologiques, internes, sont génétiques ; elles rythment nos jours et nos nuits. L’organe le plus riche en gènes circadiens est le foie, qui en contient quatre fois plus que le cerveau. Rien d’étonnant donc que le dérèglement de nos horloges touche avant tout notre métabolisme, dont le foie est le carrefour. L’oscillation du fonctionnement des organes se produit au lever et au coucher du soleil. Une oscillation qui ne se fait pas, ou faiblement, ou encore au mauvais moment, est à l’origine d’ennuis, tels que l’obésité, le diabète, et l’augmentation du cholestérol.
La relation entre l’ensoleillement et les oscillations des fonctions du corps passe par la rétine, la voie rétino-hypothalamique et le noyau supra-chiasmatique (NSC), le plus petit des noyaux de l’hypothalamus. Le NSC est un oscillateur composé de neurones et de cellules gliales. Ses neurones ont la capacité de générer un potentiel d’action électrique qui éveille un grand nombre d’organes ; cette activité est modulée par les astrocytes qui sont des cellules gliales. Quand la rétine est stimulée par la lumière du jour, les astrocytes sécrètent du glutamate. Cette neuro-hormone excitatrice régule la production de GABA neuronale, qui est une neuro-hormone de la mise au repos. Ainsi l’alternance jour-nuit est traduite par cette glande, en oscillation d’activité de l’appétit, de la température corporelle, de la pression sanguine cardiaque, et de la veille du cerveau.
Dans la maladie d’Alzheimer, ce cycle est perturbé, ce qui provoque cliniquement une tendance à la confusion le soir, des difficultés d’endormissement et un fractionnement du sommeil. C’est le stade prodromique de la maladie, qui peut durer quelques années, avant l’apparition de signes cognitifs, comme les troubles de la mémoire. Le diagnostic se fait à l’imagerie du système nerveux central, qui met en évidence une dégénérescence neuronale au niveau de la matière blanche corticale, principalement au niveau hippocampique. Cette neuro-dégénérescence est due à l’inflammation du cerveau, et se traduit par le dépôt de plaques de protéines (ß-amyloïdes et Tau), déchets insolubles autour desquels les cellules immunitaires cérébrales, ou cellules micro-gliales, s’accumulent.
Remettre les horloges à l’heure, c’est possible
Alors, quelle est cette fameuse bonne idée de nos chercheurs outre-Atlantique ? Le fonctionnement de notre organisme est commandé par la photopériode, de variation saisonnière, et notre périodicité d’activité, pendant laquelle nous nous alimentons. L’hypothèse est que l’organisme souffre lorsque ces deux rythmes naturels, variation de lumière et variation d’apport calorique, ne sont pas synchrones. Le foie reçoit les informations digestives, et le NSC les informations lumineuses. Ces deux chefs d’orchestres envoient alors des ordres incohérents, donc stressants. La proposition thérapeutique est de corriger l’asynchronisme entre les deux structures, afin de supprimer le stress métabolique et cérébral. Les auteurs avancent l’hypothèse que ce ne serait pas la maladie d’Alzheimer qui provoquerait le dérèglement circadien, mais le dérèglement circadien qui provoquerait la maladie.
Comment s’y prendre pour synchroniser les horloges ? L’idée est de se nourrir sur un temps restreint, en plein milieu de la période d’activité, afin de dégager un temps de jeûne suffisamment long, consacré au repos, au sommeil et à l’élimination des déchets. Cela avait déjà été étudié avec succès chez la souris, dans une autre maladie dégénérative du cerveau, la maladie de Huntington, où les neurones sont très sensibles au stress cellulaire, à l’inflammation, et où une action anti-oxydante est bien venue (WHITTAKER, D.S. (2018), J. Biol. Rhythms). Cette fois, l’étude a porté sur des animaux porteurs de la maladie d’Alzheimer. La quantité de calories et la qualité des aliments dans l’expérimentation sont comparables, et aucune variation de poids corporel n’a été constaté. Le protocole ne comportait que l’alimentation à temps restreint (ATR). Elle a amélioré la qualité du sommeil et l’hyperactivité a disparu. La vérification anatomique des cerveaux a montré une réduction des dépôts ß-amyloïdes et Tau, et une diminution de la taille des plaques en fonction de la durée d’expérimentation. La mémoire, que ce soit à long ou à court terme, a été restaurée à un niveau comparable à celui de la population témoin.
L’ATR renverse le processus de neuro-dégénérescence, au moins en laboratoire, et quand l’origine n’est pas une pathologie vasculaire. Il reste à démontrer son efficacité chez l’humain, à l’aide d’un programme facilement accessible, sans surcoût, sans médicament. La transposition horaire chez un être diurne serait de fixer les trois repas quotidiens à 10:00, 13:00 et 16:00 pour une personne se réveillant à 7:00. Regrouper les prises alimentaires au milieu de la période de veille, entraîne une période de jeûne quotidien de 18 heures, pendant laquelle seule l’hydratation est assurée.
La maladie d’Alzheimer est une menace qui ne fait que croître. Elle a une prévalence de 15% ; elle survient en moyenne à 73 ans, avec une espérance de vie restante diminuée d’un tiers, laissant une qualité de vie très altérée, pour la personne et pour ses proches. Les auteurs seront assurément nobélisables si leurs travaux aboutissent.
Patrick Lambert
Psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Nantes, diplômé en médecine légale, responsable du Centre d’Activité Thérapeutique à Temps Partiel du secteur 1 de l’agglomération nantaise, psychothérapeute fondateur de la psychagogie scotocentrée, auteur de “L’analyse psychagogique des rêves”, éditions Fabert.
Directeur et formateur E3PI en Psychopathologie, Psychologie complexe selon Jung, et Analyse psychagogique des rêves.