La bataille des sexes, par Patrick Lambert
La revue Trends in Ecology and Evolution du 18 mai 2022 suggère une nouvelle grille de distribution du pouvoir entre les sexes en considérant la façon dont les femelles peuvent exercer le pouvoir. Les mâles polygyniques, s’accouplant avec plusieurs femelles, comme les chimpanzés, usent de leur force physique pour dominer sexuellement et socialement. Les femelles polyandriques, comme les hyènes tachetées, troquent l’accouplement contre de la nourriture et des lieux de sommeil privilégiés.
Le pouvoir est la capacité d’influencer le comportement d’autrui face à la nourriture, l’eau, l’abris, le territoire et la reproduction. Les mâles ont le contrôle social par leurs armes naturelles plus redoutables, ce qui leur donne accès à la femelle de leur choix, et donc au contrôle reproductif. Le pouvoir gouverne toutes les sociétés, animales et humaines, en structurant les asymétries entre individus.
L’étude propose que le mode reproductif puisse aussi en retour influencer la structure sociale. Dans la société des hyènes, femelles et mâles ont de multiples partenaires pendant la saison de la reproduction. Le pouvoir des femelles est supérieur à celui des mâles, car la polyandrie leur permet de choisir le mâle avec lequel elle va in fine se reproduire. Elle gagne ainsi du pouvoir social.
Les systèmes monogames dans lesquels les femelles comme les mâles n’ont qu’un seul partenaire, comme la société des suricates, permettent un équilibre du partage des pouvoirs. En fait, il existe un continuum chez les mammifères entre les sociétés dominées par les mâles, la majorité, et les sociétés dominées par les femelles. Du point de vue de l’évolution, cette dominance est généralement très stable dans le temps, grâce à des renforcement comportementaux positifs.
Une extinction d’un renforcement positif peut renverser le rapport de force. Par exemple, l’évolution qui s’est produite entre les chimpanzés et les bonobos, d’un système de mâles dominants à un système de femelles dominantes a tenu à la simple augmentation de la durée du gonflement des organes génitaux externes de la femelle. Celui-ci est indicateur chez beaucoup de mammifères de l’œstrus, période de fécondité, appelée “chaleurs”. Cette ponte de l’œuf est signalée par l’augmentation du volume de la vulve. Ce signal est très précis dans le temps chez la chimpanzé. Cela permet au mâle d’assurer par la force un certain monopole de la femelle fécondée après l’accouplement, car la période de fertilité est courte. Il acquiert ainsi un rang social élevé.
Chez les bonobos, le gonflement génital persiste longtemps. Cela interdit en pratique au mâle de savoir quand survient l’œstrus, quand s’accoupler et quand assurer la garde autour de la femelle pour lui imposer la monogamie. En conséquence, les femelles bonobos peuvent être polyandres, ce qui leur assure, comme chez les hyènes, le pouvoir non seulement sur la reproduction, mais aussi le pouvoir social.
Quelles hypothèses peut-on faire quant à la société humaine à travers les âges ?
- Premier constat : chez les humains les organes génitaux ne sont le siège que de très faibles signaux d’œstrus. Cela place naturellement les femelles humaines au pouvoir de la reproduction, donc à la dominance sociale, comme la hyène tachetée et la bonobo.
- Deuxième constat : depuis le néolithique le mâle exerce le pouvoir social. Cela correspond à sa sédentarisation. Celle-ci a permis aux mâles d’assurer la garde au long cours des femelles avec lesquelles ils s’accouplaient, grâce aux murs de leur nouvel habitat.
- Troisième constat : pendant que les femelles passaient de la polyandrie nomade à la monogamie sédentaire, les mâles ont continué leur fonctionnement polygame. Seule une monogamie généralisée, comme chez les suricates, aurait permis d’aboutir à l’égalité sociale des sexes.
La question qui reste posée est la suivante : si l’humanité renonce au patriarcat inhérent à la sédentarisation, sans pour autant retourner au matriarcat de la vie nomade du paléolithique supérieur, comment font les suricates pour assurer l’égalité des sexes ? Ou, comment leur mâles ont-ils accédé à la monogamie ?
Patrick Lambert
Psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Nantes, diplômé en médecine légale, responsable du Centre d’Activité Thérapeutique à Temps Partiel du secteur 1 de l’agglomération nantaise, psychothérapeute fondateur de la psychagogie scotocentrée, auteur de “L’analyse psychagogique des rêves”, éditions Fabert.
Directeur et formateur E3PI en Psychopathologie et Analyse psychagogique des rêves.