

Toxoplasmose et comportement humain
La toxoplasmose infecte une grande partie de la population mondiale et ne se contente pas de passer inaperçu. Ses effets sur le comportement, la personnalité et les performances psychomotrices et cognitives des hôtes, y compris les humains, intriguent les scientifiques. De la prise de risques à l’influence sur la santé mentale, le psychiatre Patrick Lambert explore les implications de cette infection latente et ouvre des pistes sur le plan médical et sociologique.
Toxoplasma gondii est le parasite protozoaire le plus commun, puisqu’il est retrouvé infectant 30 à 70% de la population, taux qui varie selon les habitudes alimentaires et l’exposition aux chats.
T. gondii est connu pour augmenter le comportement exploratoire des rongeurs, et la perte de la peur des chats, ce qui permet au parasite d’accomplir son cycle reproductif en étant plus facilement consommé par leur prédateur. Un large consensus scientifique est en faveur d’une manipulation comportementale d’autres mammifères, dont les humains. Chez ceux-ci, l’immunité, si elle contrôle l’infection, ne permet pas de débarrasser l’organisme de la présence du parasite, ce qui accroît l’activité dopaminergique du cerveau, et consécutivement la recherche de sensations, le risque d’addictions et de schizophrénie.
Effets comportementaux et psychologiques de l’infection à la toxoplasmose
La personnalité des virs infectés, même les plus immunocompétents, se distingue par un affaiblissement du surmoi, ce qui confère à ceux-ci un risque d’irrespect des règles, qui sont moins présentes dans la psyché consciente (méta-analyse de J. FLEGR, Department of Parasitology, Faculty of Science, Praha, Czech Republic, 2007). Afin de tester la relation entre le changement de personnalité et la durée de l’infection, l’auteur a sélectionné des sujets des deux sexes ayant reçu un diagnostic de toxoplasmose aiguë dans les 14 années précédentes. Les résultats furent significatifs concernant la baisse proportionnelle de la force du surmoi en fonction de l’ancienneté de l’infection chez les virs, et encore plus significativement chez les femmes, mais dans un sens inverse, à savoir une augmentation de la puissance du surmoi en relation avec cette durée d’infection (Schizophrenia Bulletin vol. 33, 2007). Cette modification de sens opposée de la présence du surmoi selon le sexe de la personne infectée se traduit par des femmes séropositives plus perfectionnistes (ponctualité, connaissance du contenu de son sac), plus soucieuse de sa tenue vestimentaire (respect de l’étiquette) et plus dans l’auto-contrôle (temps faible pour accomplir les tests), et des virs séropositifs moins chaleureux (niveau de méfiance élevé, niveau de coopération faible).
Conséquences sur les performances psychomotrices et cognitives
Concernant les performances psychomotrices, les sujets infectés par la toxoplasmose voient leur risque d’être responsable d’un accident de la voie publique multiplié par 2.65, résultat hautement significatif, probablement dû à la diminution des capacités de concentration relevée en cas d’infection latente.
L’être humain est devenu un hôte en cul de sac pour T. gondii, car il n’a plus de prédateur félin. Précédemment, comme d’autres primates, nous étions la proie de grands félins, comme l’atteste l’étude du régime alimentaire des léopards de Côte d’Ivoire, qui exercent une pression prédatrice sur les chimpanzés et 8 autres espèces de singe d’Afrique. Mais le toxoplasme ignore cette évolution qui nous a placés au sommet de la chaîne alimentaire, et continue à exercer son effet comportemental qui, pour les autres hôtes, facilite leur prédation. Cette vulnérabilité humaine est la conséquence d’un accroissement du taux de testostérone, qui favorise « l’amour du risque ».
Concernant les processus cognitifs mobilisés par la toxoplasmose, l’étude a porté sur la réponse de la main droite à un stimulus visuel (Go trial), et la réponse avec l’autre main quand le stimulus était suivi d’un contrordre visuel et auditif (Stop-Change trial). Les sujets toxo-positifs se montrèrent plus rapides que les toxo-négatifs. Il s’avère également que les toxo-négatifs, lorsqu’ils étaient récompensés, exécutaient aussi la tâche plus rapidement, alors qu’il n’existait aucune différence entre les toxo-positifs, qu’ils soient récompensés ou non. Tout se passe comme si les toxo-positifs n’avaient pas besoin de récompense pour être rapide, leur taux de dopamine élevé mimant l’effet de récompense des toxo-négatifs (Parlog, Toxoplasma gondii-induced neuronal alterations. Parasite Immunol.,2015). Il ne s’agit pas d’une différence de capacité attentionnelle mais d’une différence de motivation. Les sujets affectés d’une toxoplasmose latente ont de meilleures performances comportementales dans des situations de contrôle cognitif difficile, mais sont moins sensibles aux effets stimulants des récompenses monétaires.
T. gondii infecte les neurones, et affecte le fonctionnement des cellules gliales. Sa séropositivité a été associée au syndrome anxio-dépressif, au TOC et aux conduites à risque, avec surmortalité. Le comportement suicidaire en particulier, est en corrélation positive avec la titration sérique d’anticorps anti-T. gondii. L’odd ratio, OR, est de 1.64 pour les idées suicidaires quand les IgG sont présentes. L’OR est même de 3.25 pour les sujets de moins de 30 ans. Quant aux tentatives de suicide, l’OR est de 2.01 entre 30 et 50 ans (risque de passage à l’acte doublé), avec présence de l’anticorps particulièrement chez les auteurs de plus de 3 tentatives (Cosme Alvarado-Esquivel, Association between Toxoplama gondii exposure and suicidal behavior, Pathogens 2021).
Vers une généralisation du test toxoplasmique ?
Les médecins consultants dans des services d’urgence psychiatrique peuvent envisager le test toxoplasmique dans leurs recherches de facteurs de risque suicidaire des patients qu’ils reçoivent.
Par ailleurs, il serait intéressant de poursuivre les études afin de déterminer si l’apparition d’une importante population d’humains toxo-positifs, avec comme corollaire des virs « prêts à tout » et des femmes respectueuses du cadre imposé, a contribué à l’émergence d’une société patriarcale, belliciste et écocide.
Patrick Lambert
Praticien hospitalier Honoraire, psychiatre fondateur de la psychagogie scotocentrée, président d’E3PI, auteur de Analyse psychagogique des rêves : l’inconscient revisité et scotocentré.
Directeur et formateur E3PI en Psychopathologie, Analyse psychagogique des rêves, et Psychologie complexe selon Jung.
