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Philosophie et Psychothérapie : to be or not to be ? par Bertrand Chapuis

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Intervention de Bertrand Chapuis lors de la journée d’inauguration d’E3PI sur le thème « Philosophie et Psychothérapie ».

Être ou ne pas être philosophe ? Telle est la question que je me suis posé pour mon propos. Quand la problématique shakespearienne se pose à moi, c’est au poème de Jacques Prévert que je pense pour répondre à la question. Prévert a intitulé son poème L’accent grave.

 

Le professeur demande à l’élève Hamlet de lui conjuguer le verbe être.

Hamlet commence sa conjugaison : « Je suis ou je ne suis pas. Tu es ou tu n’es pas. Il est ou il n’est pas. Nous sommes ou nous ne sommes pas. Vous êtes ou vous n’êtes pas. »

« Mais c’est vous qui n’y êtes pas mon pauvre ami » s’exclame le professeur !

Vous avez raison Monsieur le professeur, « je suis où je ne suis pas ! »

 

L’accent grave sur le “ou” met l’accent sur la gravité de l’inclusion : l’inclusion de la dialectique au risque de la confusion.  Je suis aussi là où je ne suis pas. Y aurait-il de l’absence dans la présence ? Y aurait-il de la présence dans l’absence ? Y a-t-il de la vérité dans l’erreur ? Y a-t-il de l’erreur dans la vérité ? Les conjonctions de coordination « et, ou, donc, or, mais, ni, car » liant des mots ou des propositions de même nature ou de même fonction parait tellement plus opérant que le “où” accent grave pour clarifier ces questions. Par exemple, la vérité et l’erreur sont indispensables pour apprendre ; Pour autant, c’est vrai ou c’est faux, il faut choisir ; car, si c’est faux, ce n’est donc pas vrai ; oui, mais, si c’est un peu faux, c’est quand même un peu vrai ; oh, et puis on a qu’à dire que c’est ni vrai ni faux, comme ça, il n’y a pas d’histoire ! « Oui, mais il faut bien que je corrige ton devoir » dit le maître à l’élève, « car tu vois ce qui est faux n’est pas juste, or, ce qui est vrai n’est pas toujours juste, c’est même parfois très injuste, est-ce pour autant faux ? ». En fait, toutes les coordinations de ces conjonctions cachent encore la question que pose le pronom relatif et adverbe servant à interroger un lieu dans l’espace :

« Mais où est donc Ornicar ? » Ornicar est-il ou n’est-il pas ? Existe-t-il ou pas ? Où se cache-t-il ? Ces questions sont bien d’ordre philosophique. Bertrand Chapuis est-il là où il est ? Là où il est devant vous. Rien n’est moins sûr puisqu’il est aussi là où il n’est pas. En tous cas, je vous rassure, je peux vous témoigner qu’il existe bien. Je le rencontre tous les jours.

Qui est Bertrand Chapuis ? D’où vous parle-t-il ?

Être ou ne pas être psychothérapeute ?

La gravité de la question m’a conduit depuis plusieurs années à ne pas y répondre. En effet, ce n’est pas à moi de savoir si je suis thérapeutique ou pas… Lorsque je peux énoncer à quelqu’un, au cours d’une rencontre phénoménologique, que je ne suis pas son psychothérapeute, qu’elle n’est pas ma patiente et qu’il n’est pas mon patient, la relation transférentielle fait un grand pas en avant. La personne comprend qu’elle n’est pas personne ; qu’elle va devoir devenir patiente d’elle-même pour devenir quelqu’un. Et pour devenir quelqu’un, il va falloir qu’elle se reconnaisse en se nommant. C’est pour cela qu’en commençant par nommer son psychothérapeute, celui qu’elle se construit au fil de ses rencontres, son Bertrand Chapuis à elle qui n’est pas moi, la personne revisite tous les éprouvés qui l’ont relié à ceux qui l’ont nommé le jour de sa naissance puis à tous ceux qui l’ont appelé depuis. Tous ces liens d’appartenance ont forgé sa parentalité, la parentalité de son Infantile, pour le meilleur et pour le pire. En CMP, mes responsabilités passées pendant plus de trente années à coordonner les soins, bien plus souvent psycho-pédiatriques que pédopsychiatriques (les troubles des enfants et adolescents sont rarement déjà psychiatrisés), m’ont appris que l’Infantile n’a pas d’âge ; que chez le tout petit, l’Infantile archaïque se protège transitoirement dans une bulle autistique où il est le monde et le monde est lui ; qu’à partir de 3 ou 4 mois, son cerveau distingue le dehors du dedans, ou plus précisément, devient capable de séparer l’espace entre un lointain inaccessible et un proche accessible qu’il cherche à saisir et à maîtriser, en quête de satisfaction exploratoire. Mais sa maladresse le confronte souvent à la perte par lâcher prise. La frustration qui peut l’envahir, est projetée hors de lui sur un responsable imaginaire, installant dans son cerveau une position de nature schizoparanoïde. Il ne pourra sortir de cette position qu’à la condition de rencontrer du parental bisexué, ou si on préfère, bigenré. Cette rencontre devra l’initier au deuil de la toute-puissance pour entrer dans la position dépressive limite qui nous humanise : celle qui nous permet de nous élever progressivement dans l’effort et la persévérance, tout en s’accordant des temps de repos bien mérité. La perte de la toute-puissance ne conduit pas à l’impuissance.

« Cogito, ergo sum » nous dit René Descartes depuis 1637 dans le Discours de la méthode. Cette formule « je pense, donc je suis », connaît une variante dans ses Méditations métaphysiques, 4 ans plus tard, elle devient : «  ego sum, ego existo », « je suis, j’existe ». Puis, Descartes revient à celle de 1637 dans les Principes de la philosophie  en 1644 : « ego cogito, ergo sum ». Cette expression a été détournée par le rationalisme classique qui a fait du cartésianisme une interprétation erronée. Elle mérite d’être restituée dans son contexte de l’époque. La philosophie première d’Aristote qui soutenait que la Terre est au centre de l’univers, était encore enseignée dans les universités. En juin 1633, Galilée est condamné par l’inquisition pour sa prise de position sur l’héliocentrisme : le soleil au centre de l’univers. Position qui s’avérera plus tard n’être même que le centre du système solaire. Aujourd’hui, le principe de Copernic considère que l’Univers ne peut admettre de centre, ni même de point privilégié. Mais en 1637, cette révolution copernicienne conduit Descartes à avancer masqué (il n’y a pas que les pandémies qui oblige le masque). Par prudence envers la censure, il dissimule partiellement ses idées nouvelles sur l’homme et le monde. Dans ses méditations, il nous fait part du cheminement intérieur de ses réflexions ; pour établir des fondements solides à la connaissance, il nous livre sa méthode : il faut écarter tout ce qui est douteux. La conséquence de cette méthode, c’est que tout est écarté, à l’exception d’une chose : « moi comme sujet pensant donc existant ». Méditer sur le doute permet à Descartes d’avancer sur la question des certitudes. Qu’est-ce qui me permet de croire que je connais des vérités ?

La philosophie devient expérience introspective pour entendre le mouvement des mondes qui nous habitent. C’est une banalité aujourd’hui d’affirmer que le vieil Aristote retrouve du crédit auprès des scientifiques les plus « pointus ». Malgré son géocentrisme, Aristote accordait, en tant que métaphysicien de la Nature, une place importante aux concepts de forme et de qualité que l’esprit Galileo-newtonien avait chassés au début de la science dites moderne. Aristote admet trois grandes classes de sciences : les sciences poétiques, les sciences pratiques et les sciences spéculatives. Ces trois sciences se distinguent moins par la nature des objets qu’elles étudient, que par le but qu’elles se proposent d’étudier à partir du même objet, du même phénomène. Cela doit nous inciter à savoir et à choisir de quelle science nous allons parler. Par exemple, l’étude d’une vague, la chute d’une feuille, le développement du fœtus, la théorie des « catastrophes », la structure des systèmes chaotiques, la théorie du mouvement des plaques de l’écorce terrestre, les théories de l’auto-organisation, ou la complexité du cerveau sont de multiples exemples qui révèlent les apories, c’est-à-dire les contradictions insurmontables du déterminisme strict des sciences dites « dures ». La connaissance des traités philosophiques n’est plus un savoir à apprendre, mais un savoir éprouver. Elle devient phénoménologique.

L’origine du courant philosophique allemand de la Phénoménologie remonte au tournant qu’a opéré Kant (1724-1804) en introduisant la complémentarité du savoir transmis et du savoir éprouvé dans ses trois études critiques parues entre 1781 et 1790 : Critique de la raison pure, Critique de la raison pratique et Critique de la faculté de juger, où il distingue les jugements déterminants des jugements réfléchissants. Pour Kant « C’est notre faculté de connaître qui organise la connaissance et non pas les objets qui la déterminent ». Autrement dit, Kant aborde d’un point de vue transcendantal la connaissance de la connaissance par la connaissance en en faisant un processus dynamique permanent. La pulsion épistémophilique de la métapsychologie, en est la confirmation chez l’enfant avec sa curiosité exploratoire naturelle. Désormais, au je pense donc je suis de Descartes, il faut ajouter : j’éprouve donc j’adviens que ce soit en conscience ou non.

A sa suite, Hegel (1770-1831) pose les bases de la phénoménologie en tant que science de l’expérience de la conscience. En 1807, parait la Phénoménologie de l’esprit sous la forme d’un système de tous les savoirs suivant une logique dialectique car nos expériences renvoient toujours à des éprouvés opposées qui se dialectisent, où toute réalité est un jeu de contraires : mort et vie, juste-injuste, tout et rien, être et néant, l’existence d’autrui indispensable à l’existence de la conscience de soi et le fameux passage sur la force sollicitée qui devient force sollicitante. Ces éprouvés se construisent donc suivant un processus circulaire entre l’autre et soi où un éprouvé sollicité devient un éprouvé sollicitant. Un jour, au cours d’un entretien, un père s’est plaint en ces termes : « ma fille ne me sollicite pas…». C’est en pensant à Hegel que je lui ai dit : « peut-être qu’elle attend que ce soit vous qui la sollicitiez » : être sollicité pour solliciter à son tour.  Les neurones miroirs qui fonctionnent en écho confirment cette réflexivité intersubjective. Leur découverte est venue apporter un substrat organogénétique au processus d’identification pour le meilleur quand il rencontre des regards, pour le pire quand il rencontre des écrans. Ces neurones jouent aussi un rôle essentiel médiatisant de façon affective les apprentissages pour les faciliter.

Après Hegel, Husserl (1859-1938) développe la phénoménologie transcendantale. Pour lui, il n’y a pas d’état constitué. Il n’y a que des moments constituants car il considère que les choses sont en perpétuel changement bien que l’essence même de la matière soit immanente. Il fait ses études à Vienne. Contemporain de Freud, ils suivent tous deux les cours de Franz Brentano à propos de l’intentionnalité chez Thomas d’Aquin. Il fera de l’intentionnalité une notion fondamentale de sa phénoménologie considérant qu’ainsi l’homme peut donner un sens à ses éprouvés.

Parmi ses élèves, Martin Heidegger (1889-1976).

Je ne m’étendrai pas aujourd’hui sur la complexité de sa personnalité et de sa trajectoire existentielle. Après la publication de « Être et Temps (Sein und Zeit) » en 1927, il succède à Husserl à l’Université de Fribourg en 1928. Heidegger nous a livré une analyse existentielle de l’Être majuscule en explorant notre “impensé occidental”. Pour Heidegger, l’Être majuscule semble ne pas renvoyer à de l’humain mais à de l’être pur qui modifie la structure même de notre pensée de l’expérience, pensée jusque-là conditionnée par la philosophie de Platon à Kant, en passant par Aristote. Les expériences éprouvées de l’Être majuscule deviennent pour Heidegger des « existentiaux », terme par lequel il prétend exprimer la relation de « l’Être-là» à son environnement, le fameux Daseinqu’on pourrait traduire par être le-là.

Sa remise en question de l’édifice ontologique construit sur le mythe de Narcisse que la métaphysique grecque a enraciné dans notre culture, repose avec malentendus sur différentes interprétations. Actuellement encore, le malentendu est de croire que Narcisse se serait reconnu dans l’image réfléchie par l’eau du lac. En réalité, il tombe désespérément amoureux de son double féminin, la nymphe Écho. Comme pour Descartes, il convient de restituer la pensée d’Heidegger dans le contexte de son époque. Pour lui, la nature réflexive de son identité ne peut plus se constituer à partir d’un autrui banal qui ne lui ressemble pas. Les autres devraient-ils être tous un autre nous-même ?

« En 1933, Heidegger étant pris dans la banalité désolante et désastreuse du monde qui l’entoure, monde qu’il fustige, il s’éloigne de l’être substantiel pour magnifier un être sursubstantiel coupé de toute origine, un nouvel absolu » écrit  Jean-Luc Nancy dans son livre la Banalité de Heidegger. Un nouvel absolu réservé à une élite, qui amène Heidegger puis Hannah Arendt à devenir politologue, remettant en question le bien-fondé même de la démocratie.

En 1933, les neurosciences n’ont pas encore démontré que le néocortex étant bicéphale, il est donc bigenré. Narcisse n’a pas encore reconnu le féminin en lui. Mais Heidegger a bien été amoureux de son élève. En 1933, le clivage entre la Culture et la Pensée allait déshumaniser le monde. Saurons-nous réconcilier la dialectique des couples pour rencontrer l’Altérité ? Lao Tseu ne disait pas autre chose : il y a du Ying dans le Yang et inversement, il y a du féminin dans le masculin pour que l’énergie vitale s’incarne dans nos existences.

Devenir philosophe et psychothérapeute, chaque instant de votre vie, est le seul conseil que je saurais vous offrir.

Bertrand Chapuis

Pédopsychiatre et psychothérapeute, membre de l’École Française de Daseinsanalyse, président de l’association FARE, engagé dans des actions de formation et d’analyse de pratiques. A été responsable d’un centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMP) et intervenant en psychothérapie institutionnelle dans un foyer de vie pour adultes porteurs de handicaps pendant plus de trente ans.

Formateur E3PI en Daseinsanalyse.

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