

L’art-thérapie d’orientation psychanalytique : quand l’image révèle l’inconscient
Par Florence Villars Martinho, psychanalyste d’orientation freudienne et art-thérapeute.
L’art-thérapie est une pratique qui fait dialoguer l’expression créative et le soin psychique. Lorsqu’elle s’appuie sur la psychanalyse, elle devient un espace singulier où l’image, loin d’être seulement une production esthétique, devient un support d’exploration intérieure. Loin des approches qui considèrent l’art comme thérapeutique en lui-même, l’art-thérapie d’orientation psychanalytique se fonde sur l’idée que la création permet de donner forme à l’invisible, en facilitant l’émergence de contenus inconscients.
L’inspiration psychanalytique : le processus créatif comme rêve éveillé
Inspirée des travaux de Freud et de ses successeurs, cette démarche considère que le processus artistique agit à la manière du rêve : il transforme, transpose, déguisant des fragments du monde interne pour les rendre perceptibles. Ce qui apparaît sur la feuille ou la toile n’est pas nécessairement ce que la personne pensait représenter consciemment. Un trait maladroit, une couleur inattendue, une forme inachevée peuvent devenir les indices d’un contenu enfoui, parfois oublié ou jamais formulé en mots.
Le cadre thérapeutique : un espace de liberté et de confiance
Le cadre thérapeutique joue ici un rôle essentiel. Il autorise un mode de création libre, sans jugement ni recherche de performance, ce qui permet un certain relâchement des défenses psychiques. Dans cet espace de confiance, l’image devient un lieu d’inscription du vécu psychique, et peut servir de point de départ à des associations verbales. Le patient ne cherche pas à expliquer l’image, mais à écouter ce qu’elle réveille en lui : une sensation, une émotion, un souvenir, une pensée fugace. Ce travail de mise en lien fait écho à la méthode d’association libre utilisée en psychanalyse verbale.
La relation triadique : l’image comme tiers dans le processus thérapeutique
Une des particularités majeures de l’art-thérapie psychanalytique réside dans sa structure relationnelle spécifique, souvent décrite comme « triadique ». Contrairement à la relation duelle classique entre analyste et analysant, ici, l’image produite introduit une troisième instance. Le patient se confronte à son image, l’investit, la regarde et l’interroge. Cette image devient un espace de projection et de transfert, autant que le thérapeute lui-même. Ce tiers symbolique permet parfois d’aborder ce qui serait trop difficile à dire directement, et crée un effet de médiation.
L’image comme langage : un accès privilégié à la mémoire préverbale
À ce titre, la médiation artistique ne se limite pas à un support de parole : elle constitue un véritable langage en soi. Les représentations visuelles, souvent issues d’expériences préverbales, appartiennent à une mémoire archaïque, difficilement accessible par la pensée consciente. En sollicitant cette mémoire implicite, le processus créatif ouvre un accès privilégié à des zones de l’expérience restées muettes.
Le rôle du thérapeute : témoin actif et réceptif
La posture du thérapeute dans ce cadre est double : il est à la fois témoin du processus du patient et réceptif aux résonances. Il observe les gestes, les silences, les hésitations, les élans créatifs, tout en prêtant attention à ce que l’image produit — émotions, pensées, impressions corporelles — comme autant de portes d’entrée pour comprendre la dynamique psychique à l’œuvre. Il ne s’agit pas d’interpréter l’image de l’extérieur, mais d’accompagner le patient dans le déchiffrement intime de ce qu’il met au monde par la création.
L’image comme témoin matériel du processus psychique
L’image, enfin, a elle-même une fonction de témoin. Elle garde la trace d’un processus, visible dans la matière même : couches superposées, formes effacées, couleurs insistantes ou absentes. Elle est la mémoire d’un moment, d’un passage psychique, d’une tentative d’expression qui peut être revisitée, retravaillée, ou simplement regardée autrement à mesure que le travail thérapeutique progresse.
Ainsi, l’art-thérapie d’orientation psychanalytique se présente comme une voie sensible et profonde d’exploration de soi. Elle ne cherche pas à produire du sens immédiat, mais à accueillir ce qui émerge sans forcer l’interprétation. En s’appuyant sur l’image comme miroir actif du monde interne, elle ouvre la possibilité d’un déplacement, d’un dévoilement, et parfois d’une transformation.
Florence Villars Martinho
Psychanalyste d’orientation freudienne et art-thérapeute.
Co-fondatrice d’E3PI et formatrice en psychanalyse freudienne et art-thérapie.
