

Advenance : nommer la transformation post-traumatique
Face au traumatisme, la psychologie parle volontiers de « résilience », ce retour à l’équilibre après le choc. Mais ce terme peine à traduire une toute autre dynamique : celle qui ne se contente pas de restaurer, mais qui transforme. Dans cet article, Patrick Lambert, psychiatre et formateur en psychopathologie intégrative, propose de nommer « Advenance » ce passage de la blessure à la croissance. Une manière de conceptualiser cette faculté humaine de se nourrir de ce qui advient.
De « résilience » à « pathoplastie » : pourquoi les termes existants ne suffisent pas
Le mot résilience est d’origine anglo-saxone. Il est repris tel quel ; c’est donc un anglicisme dans sa définition en psychologie. C’est Norman GARMEZY qui, dans les années 1970, a créé ce terme pour décrire le maintien des compétences scolaires d’enfants soumis à un stress familial, grâce à leurs qualités sociales et cognitives. Ce terme est de la famille du verbe résilier. Ce verbe signifie dissoudre, par exemple un contrat, c’est-à-dire le considérer comme nul et non avenu. Cela vient du latin resilio, qui veut dire sauter en arrière, se retirer sur soi-même ou renoncer. Utilisé en physique, et bien avant son usage en psychologie, le terme résilience qualifie la résistance au choc d’un métal. Celui-ci reste intact malgré les pressions, tractions et percussions qui lui sont infligées. En psychologie cela traduit la faculté de faire face aux traumatismes. Des définitions précédentes cela suppose avoir traversé et surmonté les chocs sans altération psychique, ou en les ignorant (comme l’eau sur les plumes du canard).
En 1930, Viktor FRANKL avait proposé le terme « pathoplastie » pour dénommer l’aptitude à surmonter la souffrance. Mais étymologiquement ce mot aux racines latines exprime plutôt l’art de façonner les sentiments, ou, pour les émotions, d’être modifiées dans leur durée ou leur intensité.
Il manque donc un terme qui décrit la sortie par le haut d’un traumatisme psychologique, la sortie par le bas étant l’état séquellaire psychopathologique. À la différence de la résilience, il est important de décrire ici la transformation positive de la victime : par adaptation ou réadaptation, réhabilitation, renforcement, révélation, sublimation, le sujet s’en sort avec bonification, maturation et capacités nouvelles, comme l’autocritique, l’introspection, l’empathie. Il s’agit non pas d’un retour à l’état antérieur, mais d’une plus-value à l’occasion de cet accident de vie.
Platon avait parlé de noèsis, pour décrire la faculté d’atteindre la vérité par l’intuition, mais cela se produisait plus par la méditation que par la mise à l’épreuve. Il manquait donc le substantif traduisant la faculté de se nourrir de ce qui advient, et je propose un sens supplémentaire à l’advenance, afin de répondre à cette nécessité de dénommer ce concept orphelin.
L’advenance : un concept pour nommer ce qui advient et transforme
L’advenance fit sa première apparition au XIVe siècle comme synonyme d’évènement. Son usage refit surface au XIXe siècle pour parler de ce qui advient. Au XXe siècle le mot est utilisé pour décrire ce qui surgit de façon inattendue, une surprise, ou encore, hors événement, l’ouverture à des possibles. Il est souvent synonyme d’« avenance », en particulier dans les traductions des travaux d’Heidegger (Ereignis). Il y est question du surgissement de l’Être en tant qu’événement, mais aussi de ce qui arrive, et nous amène à ouvrir les yeux, l’éclaircie.
Ainsi l’advenance, dans ces différents usages, décrit un événement exogène ; l’avenance d’Heidegger décrit un évènement endogène en réaction à un évènement exogène. Or, je veux décrire une qualité humaine intrinsèque de gestion des évènements, et non l’évènementiel. Ma proposition est :
- De retenir le mot advenance, en rapport avec advenir, phénomène intrinsèque, plutôt qu’avenance, qui se réfère à avenir, terme plus globalisant,
- Et ne considérer l’événement que comme révélateur de cette qualité, qui passe ainsi de l’ombre, en tant que potentielle, à la lumière, en tant qu’amélioration effective de l’être.
Le sujet advenant s’accommode aux circonstances, perçoit la providence, et privilégie le bon côté de ce qui lui est proposé de vivre. Confronté à des évènements similaires, il est capable d’obtenir un meilleur destin que celui qui n’a pas d’advenance.
Accessoirement, je peux proposer comme traduction allemande d’advenance, face à l’évènement, Geschehnis, le néologisme Geschehung. Geschehen veut dire arriver, se produire ; Geschehene est ce qui est fait, accompli.
De la même façon, en anglais, je peux proposer le néologisme advanceness, potentialité à progresser, à partir de to advance, avancer en parlant d’une armée face à l’adversité, et qui permet d’obtenir de l’advancement, promotion.
Patrick Lambert
Praticien Hospitalier Honoraire, psychiatre fondateur de la psychagogie scotocentrée, président d’E3PI, auteur de Analyse psychagogique des rêves : l’inconscient revisité et scotocentré.
Formateur en Psychopathologie intégrative, Analyse psychagogique des rêves, et Analyse Jungienne.




