

La fatigue et le principe de Boucle d’Or, par Patrick Lambert
Une étude parue dans Current Biology montre qu’un travail intellectuel intense et prolongé se traduit par l’accumulation de glutamate dans le cortex préfrontal latéral gauche (PFLG). Le glutamate est le neurotransmetteur qui stimule les neurones. Le cortex PFLG contrôle les processus requis pour manipuler les informations, afin de résoudre des problèmes tels que ceux posés lors d’une partie d’échec.
Pour mettre en évidence les variations de concentration du glutamate, les chercheurs ont balayé de nombreux cortex PFLG à l’aide d’un spectroscope à résonnance magnétique, capable de détecter les changements biochimiques des tissus observés.
Plusieurs résultats nous éclairent sur le fonctionnement cognitif. Le premier est que les décisions prises quand le cerveau est fatigué ne sont pas les mêmes que celles prises avec un esprit reposé. L’expérience menée au Paris Brain Institute Lab. consistait à proposer tout au long d’une journée de travail intellectuel des défis tels que gagner de l’argent à proportion d’un effort fourni sur vélo d’appartement. L’option à faible coût énergétique, faible gain était privilégiée au fur et à mesure que la journée de travail était réalisée. L’attrait pour la petite récompense immédiate plutôt qu’une plus importante mais retardée était proportionnel à l’accumulation de glutamate dans le cortex PFLG. Le repos octroyé aux participants consistait à visionner des fictions sous la forme de séries. Ce repos permettait la normalisation du taux du neurotransmetteur, le cerveau agissant avec le glutamate comme avec un déchet dont il fallait se débarrasser de l’excédent.
Le deuxième résultat de l’étude n’est pas moins surprenant. Un groupe avait reçu la consigne de réaliser un travail répétitif demandant peu de réflexion. Lors de l’auto-évaluation de la sensation de fatigue, le résultat fut le même à temps de travail égal qu’avec les tâches complexes. Les conséquences fonctionnelles étaient les mêmes, à savoir choix de l’option faible coût énergétique – faible gain privilégiée en fin de journée. La différence tenait dans le taux de glutamate, effondré après une telle tâche ennuyeuse.
La fatigue ressentie est donc proportionnelle à l’écart du taux de glutamate, ni trop, ni trop peu. C’est typique du principe de Boucle d’Or, qui ne peut se reposer que si elle trouve le vade-mecum du membre de la famille ours qui lui correspond en taille. Cela ouvre des perspectives d’explication du syndrome de fatigue chronique. Elle serait due à une activité peu variée, quelle qu’elle soit.
Ainsi, pour les manuels et les sportifs, il serait bon d’alterner avec quelques activités intellectuelles ; et pour les intellectuels, quand vous êtes fatigués, bougez-vous ! L’autre leçon à retenir en quelque sorte est qu’une tendance au manque d’ambition peut être compensée par des décisions prises le matin, réputées plus courageuses que celles qui seraient prises en fin de journée.
Patrick Lambert
Psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Nantes, diplômé en médecine légale, responsable du Centre d’Activité Thérapeutique à Temps Partiel du secteur 1 de l’agglomération nantaise, psychothérapeute fondateur de la psychagogie scotocentrée, auteur de “L’analyse psychagogique des rêves”, éditions Fabert.
Directeur et formateur E3PI en Psychopathologie et Analyse psychagogique des rêves.
