

L’Expérience de Mort Imminente est le privilège de cerveaux en bonne santé, par Patrick Lambert
L’Expérience de Mort Imminente est classiquement observée lors d’une crise cardiaque provoquant la privation d’oxygène d’un cerveau sain. Pendant celle-ci, des neurotransmetteurs sont libérés, dont la DMT, ou Di-Méthyle-Tryptamine, qui a une fonction de protection contre l’hypoxie, et qui favorise la neuro-plasticité réparatrice. Mais seuls 20% des survivants d’un accident cardiaque peuvent en témoigner.
La DMT est trouvée à l’état naturel dans certaines plantes, mais seul connu, le banisteriopsis, une liane amazonienne, est psychotrope. Sa vertu vient de la présence conjointe d’un inhibiteur de la monoamine oxydase (IMAO), qui permet à la DMT de traverser intacte la barrière hépatique après ingestion sous forme d’ayahuasca, préparation indigène.
La DMT est connue pour ses effets psychédéliques, mais n’est étudiée que depuis 70 ans. D’abord administrée en intramusculaire, pour observer les états psychotiques expérimentaux, elle a, depuis une trentaine d’années, été injectée en intraveineux pour en étudier les effets hallucinogènes. Ces dernières années, elle a été administrée chez des volontaires, en bolus de perfusion, pour observer cet effet comparable à celui que décrivent les survivants d’une EMI.
La DMT agit sur les récepteurs à la sérotonine (5-HT), ce qui lui donne un effet psychédélique comparable à ceux des autres molécules de même action 5-HT, à savoir le LSD, ou di-éthyle-amine de l’acide lysergique, et la psilocybine, extrait d’un champignon hallucinogène. La particularité de la DMT est sa production naturelle endogène chez les mammifères.
L’étude de Jon G. DEAN en 2019 a permis de mettre en évidence, grâce à un système d’analyse in situ de l’ARN, l’ARNscope, la présence dans le tissu cérébral humain de l’ARN messager de l’enzyme qui produit la DMT à partir de la tryptamine. La tryptamine est elle-même produite à partir du tryptophane de notre alimentation grâce à une enzyme cérébrale qui sert également à produire les autres neurotransmetteurs que sont la sérotonine, la dopamine et la noradrénaline. À la différence de ces trois derniers, synthétisés dans la glande pinéale, ou épiphyse, il a été prouvé que la DMT est produite principalement dans le cortex, ce qui réduit son délai d’action à une réactivité instantanée.
Pour étudier l’hypothèse d’une Expérience de Mort Imminente provoquée par la DMT, les scientifiques ont provoqué expérimentalement l’arrêt cardiaque chez des rats. L’expérience fut concluante, car les taux de DMT du cerveau, faibles avant l’expérience, ont augmenté jusqu’à un niveau comparable à celui de la sérotonine, neurotransmetteur de référence. Cette augmentation est significative dans un tiers des cas, à rapprocher des 20% de survivants qui décrivent une EMI.
Plus récemment, une équipe suisse a administré des bolus de DMT à des humains volontaires pour reproduire une EMI artificielle. L’équipe de Severin B. VOGT a pu montrer en mai 2023 que, contrairement au LSD et au champignon magique, la DMT ne provoque pas d’augmentation d’ocytocine, et ne risque donc pas, théoriquement, de provoquer une dépendance psychologique.
Le cerveau a son parachute de secours, la DMT, afin d’offrir le maximum de chance à une tentative de ressuscitation cérébrale. Ce parachute ouvre grandes les fenêtres de l’inconscient, avec une accélération telle de la pensée que la vie oubliée semble défiler comme les étages d’un gratte-ciel parcourus lors d’une chute par défenestration.
Patrick Lambert
Psychiatre, praticien hospitalier au CHU de Nantes, diplômé en médecine légale, responsable du Centre d’Activité Thérapeutique à Temps Partiel du secteur 1 de l’agglomération nantaise, psychothérapeute fondateur de la psychagogie scotocentrée, auteur de “L’analyse psychagogique des rêves”, éditions Fabert.
Directeur et formateur E3PI en Psychopathologie et Analyse psychagogique des rêves.
